INSPIRATION

Une figure du féminisme : la Cuisine de Francfort

30/4/2022
Par Clément Rigaud
Faire passer la souris sur les mots cachés pour les lire
30/4/2022

Une figure du féminisme : la Cuisine de Francfort

Par Clément Rigaud
Faire passer la souris sur les mots cachés pour les lire

Il y a cet héritage qu’on ne sait presque dater. Il aurait un siècle mais paraîtrait n’avoir qu’à peine vingt ans. Tangible, parce que lorsque l’on nous parle d’Histoire comme celle qui a construit notre civilisation ; que l’on nous rappelle tous les ans les révolutions et les armistices, tout paraît loin, vieux, d’un autre monde, tandis que cet ancrage-ci, lui, nous est encore si familier. Certes, certains combats du passé font encore inconcevablement partie de notre présent, mais je vous parle ici d’une philosophie - elle-même naissant des conflits et de l’entre-deux-guerres - celle de l’aspiration, de l’inspiration et du design. Je vous parle des prémices, d’une époque où le mot « design » n'a pas vraiment de sens - du moins pas celui que l’on entend aujourd’hui. Je vous parle ainsi des débuts, non si lointains, d’expérimentation, ceux d’une école - le Bauhaus - qui soutenait que l'art se devait de répondre aux besoins de la société. Et si vous regardez les croquis d’une de ces jeunes étudiantes des années 20, presqu’au risque de les confondre d’époque, vous verrez vos meubles de cuisine, le catalogue des grands magasins de mobilier, les chaises des salles de cours...

Aujourd’hui dans <link-text>Inspiration<link-text>, on aborde les prémices de la fonction, une idée nouvelle pour un homme moderne - certains oseraient dire « femme moderne ». Dans ce deuxième épisode, on parle de l’histoire de la cuisine. Cette pièce de vie parfois très "design" ; aujourd'hui inhérente à n'importe quel foyer parce qu'il est bien inimaginable de ne pas en posséder une chez-soi ; la cuisine, telle que nous la concevons aujourd'hui, n'existait même pas il y a cent ans. C’est peut-être ce qu’il y a de plus fascinant avec notre époque : nous baignons dans cette substitution de bouleversements qui ont eu lieu il y a si peu de temps.

Cuisine de Francfort

Pour vous parler des prémices de la fonction, il faut vous raconter l’un des chapitres du design, l’histoire de la cuisine en Allemagne : la Cuisine de Francfort. Il faut peut-être comprendre qu’avant même le 20e siècle, la cuisine n’existait pas. Les premières se rapprochant de l’image de nos cuisines modernes remontent au Moyen Age. Seul les châteaux et les maisons bourgeoises en avaient et elles étaient placées à l’écart - au sous-sol ou carrément à l’extérieur - pour éviter les incendies. Et après le Moyen Age ? Aucun grand changement. Jusqu’aux années 1900, la plupart des habitants n’avaient pas accès à une véritable cuisine mais souvent seulement à une table et une cheminée dans leurs maisons.

Sara Pennelle, maître de conférences en histoire à l’Université de Greenwich et Nancy Carlisle, conservatrice principale des collections à Historic New England ont cherchées à représenter l’évolution de la cuisine en modélisant la pièce sur 6 périodes différentes de 1520 à 2020.
homeadvisor.com

L’une des principales raisons de cette stagnation est technique. Il faut attendre la Révolution industrielle à la fin du 19e siècle pour avoir accès à l’eau courante, le gaz et l’électricité. La cuisine telle que nous la connaissons aujourd’hui apparaît donc pour la première fois en 1926 sous le nom de <link-text>Cuisine de Francfort<link-text>. Elle est inventée par l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky pour répondre à une pénurie de logements en Allemagne à la suite de la Première Guerre mondiale

Un grand nombre de projets d'habitats sociaux sont imaginés dans les années 20 pour augmenter le nombre d'appartements à louer. L’enjeu était de taille, il fallait concevoir des appartements abordables avec peu de moyens. Pour réduire les coûts, les architectes ont créé un système de plan unique adapté à l’ensemble des futurs appartements. Une inspiration certaine pour les futures unités d’habitation du Corbusier en France et autres travaux de Jean Nouvel. Et tout n’était qu’un savant casse-tête pour savoir comment organiser des espaces déjà réduits au maximum.

Margarete Schütte-Lihotzky


30/4/2022

Une figure du féminisme : la Cuisine de Francfort

Par Clément Rigaud

Il y a cet héritage qu’on ne sait presque dater. Il aurait un siècle mais paraîtrait n’avoir qu’à peine vingt ans. Tangible, parce que lorsque l’on nous parle d’Histoire comme celle qui a construit notre civilisation ; que l’on nous rappelle tous les ans les révolutions et les armistices, tout paraît loin, vieux, d’un autre monde, tandis que cet ancrage-ci, lui, nous est encore si familier. Certes, certains combats du passé font encore inconcevablement partie de notre présent, mais je vous parle ici d’une philosophie - elle-même naissant des conflits et de l’entre-deux-guerres - celle de l’aspiration, de l’inspiration et du design. Je vous parle des prémices, d’une époque où le mot « design » n'a pas vraiment de sens - du moins pas celui que l’on entend aujourd’hui. Je vous parle ainsi des débuts, non si lointains, d’expérimentation, ceux d’une école - le Bauhaus - qui soutenait que l'art se devait de répondre aux besoins de la société. Et si vous regardez les croquis d’une de ces jeunes étudiantes des années 20, presqu’au risque de les confondre d’époque, vous verrez vos meubles de cuisine, le catalogue des grands magasins de mobilier, les chaises des salles de cours...

Aujourd’hui dans <link-text>Inspiration<link-text>, on aborde les prémices de la fonction, une idée nouvelle pour un homme moderne - certains oseraient dire « femme moderne ». Dans ce deuxième épisode, on parle de l’histoire de la cuisine. Cette pièce de vie parfois très "design" ; aujourd'hui inhérente à n'importe quel foyer parce qu'il est bien inimaginable de ne pas en posséder une chez-soi ; la cuisine, telle que nous la concevons aujourd'hui, n'existait même pas il y a cent ans. C’est peut-être ce qu’il y a de plus fascinant avec notre époque : nous baignons dans cette substitution de bouleversements qui ont eu lieu il y a si peu de temps.

Cuisine de Francfort

Pour vous parler des prémices de la fonction, il faut vous raconter l’un des chapitres du design, l’histoire de la cuisine en Allemagne : la Cuisine de Francfort. Il faut peut-être comprendre qu’avant même le 20e siècle, la cuisine n’existait pas. Les premières se rapprochant de l’image de nos cuisines modernes remontent au Moyen Age. Seul les châteaux et les maisons bourgeoises en avaient et elles étaient placées à l’écart - au sous-sol ou carrément à l’extérieur - pour éviter les incendies. Et après le Moyen Age ? Aucun grand changement. Jusqu’aux années 1900, la plupart des habitants n’avaient pas accès à une véritable cuisine mais souvent seulement à une table et une cheminée dans leurs maisons.

Sara Pennelle, maître de conférences en histoire à l’Université de Greenwich et Nancy Carlisle, conservatrice principale des collections à Historic New England ont cherchées à représenter l’évolution de la cuisine en modélisant la pièce sur 6 périodes différentes de 1520 à 2020.
homeadvisor.com

L’une des principales raisons de cette stagnation est technique. Il faut attendre la Révolution industrielle à la fin du 19e siècle pour avoir accès à l’eau courante, le gaz et l’électricité. La cuisine telle que nous la connaissons aujourd’hui apparaît donc pour la première fois en 1926 sous le nom de <link-text>Cuisine de Francfort<link-text>. Elle est inventée par l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky pour répondre à une pénurie de logements en Allemagne à la suite de la Première Guerre mondiale

Un grand nombre de projets d'habitats sociaux sont imaginés dans les années 20 pour augmenter le nombre d'appartements à louer. L’enjeu était de taille, il fallait concevoir des appartements abordables avec peu de moyens. Pour réduire les coûts, les architectes ont créé un système de plan unique adapté à l’ensemble des futurs appartements. Une inspiration certaine pour les futures unités d’habitation du Corbusier en France et autres travaux de Jean Nouvel. Et tout n’était qu’un savant casse-tête pour savoir comment organiser des espaces déjà réduits au maximum.

Margarete Schütte-Lihotzky


Une figure du féminisme : la Cuisine de Francfort

Un appartement typique ouvrier était imaginé en deux pièces. La cuisine avait ainsi plusieurs fonctions : en plus de faire le repas, on y dînait, on y vivait, on s'y lavait, et parfois même, on y dormait. La seconde pièce était quant à elle une « pièce de réception » pour les rares cas où l'on accueillait du monde. Quand Margarete Schütte-Lihotzky intervient sur le projet, elle redéfinit complètement la façon d’aborder ces espaces en dessinant une petite pièce séparée, connectée au séjour par une porte coulissante et ayant pour but de séparer concrètement les fonctions liées au travail (cuisine, repassage..) à celles de la vie et du repos. La cuisine moderne venait de voir le jour et avec elle, le schéma type du foyer contemporain comme nous nous y plaisons aujourd’hui.

L'idée de l’architecte était d’adapter les principes du taylorisme - en vogue à l’époque - au travail domestique. Il s’agissait d’optimiser chacune des actions de la ménagère en étudiant ses gestes et ses déplacements. Elle imagine la cuisine comme une pièce de travail, un laboratoire rationalisé.
Cependant, lorsqu’on entend rationalisation, on est souvent loin des intentions de Schütte-Lihotzky. L’espace était pensé pour minimiser le nombre de pas à faire entre les différentes taches, ainsi, les tiroirs étaient rapprochés, les placards élevés à hauteur de tête, l’architecte a même imaginé une étagère à ingrédients et des tiroirs-verseurs intégrés ; une révolution pour l’époque. La cuisine était donc installée toute équipée, les éléments conventionnels de l’époque n’étant ni fonctionnels ni conçus pour des espaces si réduits. Du positionnement des éclairages et jusqu’à la peinture bleue des tiroirs - parce que les chercheurs de l’époque avaient découvert qu’elle repoussait les mouches - en passant par les matériaux des bocaux qui éloignent les vers de la farine, tout n’était que flexibilité, praticité et gain de temps. C’est ainsi qu’on appellera aussi succinctement cette cuisine moderniste, fonctionnaliste et rationaliste

Une figure du féminisme

Une cuisine imaginée par une femme pour les femmes. Est-ce suffisant pour parler de féminisme tandis que, pour sûr, Margarete Schütte-Lihotzky n’était pas la cible de sa cuisine ? Elle le disait elle-même dans Das neue Frankfurt en mai 1926, « Les femmes de la classe moyenne, travaillant souvent sans aide (sans domestique) chez elles, ainsi que les femmes de la classe ouvrière, ayant souvent un travail en dehors du foyer, sont surchargées au point que leur stress peut entraîner des répercussions sérieuses sur la santé publique au sens large ».

C’est là toute l’ambivalence. Parce qu’il y avait peut-être cet élan à l’existentialisme de Beauvoir ou à la désinvolture de Chanel à la même époque. Peut-être que dans « rationalisation » il y avait « émancipation » de la femme, liberté. Et si beaucoup confondent peut-être la femme et son travail, d'autres critiqueraient plus l'époque que les indéniables révolutions de Schütte-Lihotzky. Ainsi, pour quelques-uns, il y avait aussi l’intention de réduire le temps de travail ménager - qui ne rapporte pas - pour permettre aux ménagères de partir travailler à l’usine. Je crois que Margarete Schütte-Lihotzky était une femme libérée. Féminine au sein d'un mouvement d'avant-garde majoritairement masculin, elle reste une figure importante pour le mouvement féministe sans pour autant vouloir assurément en être. Elle était de conviction, certains diront féministe, d’autres humaniste, libérale ou simplement artiste. 

Quelqu’il soit, sa carrière dessine une vie inspirante, celle d’une femme qui bouscula la société. À travers ses idéaux et ses travaux, elle participa indéniablement aux changements sociaux modernes et notamment à l’évolution du statut des femmes.

"Planifier et construire, femmes cela vous concerne. Nous formons la plus grande partie de la population et pourrions exercer une influence bien plus grande. Il suffit que nous prenions conscience de notre force"

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Il y a cet héritage qu’on ne sait presque dater. Il aurait un siècle mais paraîtrait n’avoir qu’à peine vingt ans. Tangible, parce que lorsque l’on nous parle d’Histoire comme celle qui a construit notre civilisation ; que l’on nous rappelle tous les ans les révolutions et les armistices, tout paraît loin, vieux, d’un autre monde, tandis que cet ancrage-ci, lui, nous est encore si familier. Certes, certains combats du passé font encore inconcevablement partie de notre présent, mais je vous parle ici d’une philosophie - elle-même naissant des conflits et de l’entre-deux-guerres - celle de l’aspiration, de l’inspiration et du design. Je vous parle des prémices, d’une époque où le mot « design » n'a pas vraiment de sens - du moins pas celui que l’on entend aujourd’hui. Je vous parle ainsi des débuts, non si lointains, d’expérimentation, ceux d’une école - le Bauhaus - qui soutenait que l'art se devait de répondre aux besoins de la société. Et si vous regardez les croquis d’une de ces jeunes étudiantes des années 20, presqu’au risque de les confondre d’époque, vous verrez vos meubles de cuisine, le catalogue des grands magasins de mobilier, les chaises des salles de cours...

Aujourd’hui dans <link-text>Inspiration<link-text>, on aborde les prémices de la fonction, une idée nouvelle pour un homme moderne - certains oseraient dire « femme moderne ». Dans ce deuxième épisode, on parle de l’histoire de la cuisine. Cette pièce de vie parfois très "design" ; aujourd'hui inhérente à n'importe quel foyer parce qu'il est bien inimaginable de ne pas en posséder une chez-soi ; la cuisine, telle que nous la concevons aujourd'hui, n'existait même pas il y a cent ans. C’est peut-être ce qu’il y a de plus fascinant avec notre époque : nous baignons dans cette substitution de bouleversements qui ont eu lieu il y a si peu de temps.

Cuisine de Francfort

Pour vous parler des prémices de la fonction, il faut vous raconter l’un des chapitres du design, l’histoire de la cuisine en Allemagne : la Cuisine de Francfort. Il faut peut-être comprendre qu’avant même le 20e siècle, la cuisine n’existait pas. Les premières se rapprochant de l’image de nos cuisines modernes remontent au Moyen Age. Seul les châteaux et les maisons bourgeoises en avaient et elles étaient placées à l’écart - au sous-sol ou carrément à l’extérieur - pour éviter les incendies. Et après le Moyen Age ? Aucun grand changement. Jusqu’aux années 1900, la plupart des habitants n’avaient pas accès à une véritable cuisine mais souvent seulement à une table et une cheminée dans leurs maisons.

Sara Pennelle, maître de conférences en histoire à l’Université de Greenwich et Nancy Carlisle, conservatrice principale des collections à Historic New England ont cherchées à représenter l’évolution de la cuisine en modélisant la pièce sur 6 périodes différentes de 1520 à 2020.
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L’une des principales raisons de cette stagnation est technique. Il faut attendre la Révolution industrielle à la fin du 19e siècle pour avoir accès à l’eau courante, le gaz et l’électricité. La cuisine telle que nous la connaissons aujourd’hui apparaît donc pour la première fois en 1926 sous le nom de <link-text>Cuisine de Francfort<link-text>. Elle est inventée par l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky pour répondre à une pénurie de logements en Allemagne à la suite de la Première Guerre mondiale

Un grand nombre de projets d'habitats sociaux sont imaginés dans les années 20 pour augmenter le nombre d'appartements à louer. L’enjeu était de taille, il fallait concevoir des appartements abordables avec peu de moyens. Pour réduire les coûts, les architectes ont créé un système de plan unique adapté à l’ensemble des futurs appartements. Une inspiration certaine pour les futures unités d’habitation du Corbusier en France et autres travaux de Jean Nouvel. Et tout n’était qu’un savant casse-tête pour savoir comment organiser des espaces déjà réduits au maximum.

Margarete Schütte-Lihotzky


Il y a cet héritage qu’on ne sait presque dater. Il aurait un siècle mais paraîtrait n’avoir qu’à peine vingt ans. Tangible, parce que lorsque l’on nous parle d’Histoire comme celle qui a construit notre civilisation ; que l’on nous rappelle tous les ans les révolutions et les armistices, tout paraît loin, vieux, d’un autre monde, tandis que cet ancrage-ci, lui, nous est encore si familier. Certes, certains combats du passé font encore inconcevablement partie de notre présent, mais je vous parle ici d’une philosophie - elle-même naissant des conflits et de l’entre-deux-guerres - celle de l’aspiration, de l’inspiration et du design. Je vous parle des prémices, d’une époque où le mot « design » n'a pas vraiment de sens - du moins pas celui que l’on entend aujourd’hui. Je vous parle ainsi des débuts, non si lointains, d’expérimentation, ceux d’une école - le Bauhaus - qui soutenait que l'art se devait de répondre aux besoins de la société. Et si vous regardez les croquis d’une de ces jeunes étudiantes des années 20, presqu’au risque de les confondre d’époque, vous verrez vos meubles de cuisine, le catalogue des grands magasins de mobilier, les chaises des salles de cours...

Aujourd’hui dans <link-text>Inspiration<link-text>, on aborde les prémices de la fonction, une idée nouvelle pour un homme moderne - certains oseraient dire « femme moderne ». Dans ce deuxième épisode, on parle de l’histoire de la cuisine. Cette pièce de vie parfois très "design" ; aujourd'hui inhérente à n'importe quel foyer parce qu'il est bien inimaginable de ne pas en posséder une chez-soi ; la cuisine, telle que nous la concevons aujourd'hui, n'existait même pas il y a cent ans. C’est peut-être ce qu’il y a de plus fascinant avec notre époque : nous baignons dans cette substitution de bouleversements qui ont eu lieu il y a si peu de temps.

Cuisine de Francfort

Pour vous parler des prémices de la fonction, il faut vous raconter l’un des chapitres du design, l’histoire de la cuisine en Allemagne : la Cuisine de Francfort. Il faut peut-être comprendre qu’avant même le 20e siècle, la cuisine n’existait pas. Les premières se rapprochant de l’image de nos cuisines modernes remontent au Moyen Age. Seul les châteaux et les maisons bourgeoises en avaient et elles étaient placées à l’écart - au sous-sol ou carrément à l’extérieur - pour éviter les incendies. Et après le Moyen Age ? Aucun grand changement. Jusqu’aux années 1900, la plupart des habitants n’avaient pas accès à une véritable cuisine mais souvent seulement à une table et une cheminée dans leurs maisons.

Sara Pennelle, maître de conférences en histoire à l’Université de Greenwich et Nancy Carlisle, conservatrice principale des collections à Historic New England ont cherchées à représenter l’évolution de la cuisine en modélisant la pièce sur 6 périodes différentes de 1520 à 2020.
homeadvisor.com

L’une des principales raisons de cette stagnation est technique. Il faut attendre la Révolution industrielle à la fin du 19e siècle pour avoir accès à l’eau courante, le gaz et l’électricité. La cuisine telle que nous la connaissons aujourd’hui apparaît donc pour la première fois en 1926 sous le nom de <link-text>Cuisine de Francfort<link-text>. Elle est inventée par l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky pour répondre à une pénurie de logements en Allemagne à la suite de la Première Guerre mondiale

Un grand nombre de projets d'habitats sociaux sont imaginés dans les années 20 pour augmenter le nombre d'appartements à louer. L’enjeu était de taille, il fallait concevoir des appartements abordables avec peu de moyens. Pour réduire les coûts, les architectes ont créé un système de plan unique adapté à l’ensemble des futurs appartements. Une inspiration certaine pour les futures unités d’habitation du Corbusier en France et autres travaux de Jean Nouvel. Et tout n’était qu’un savant casse-tête pour savoir comment organiser des espaces déjà réduits au maximum.

Margarete Schütte-Lihotzky


Un appartement typique ouvrier était imaginé en deux pièces. La cuisine avait ainsi plusieurs fonctions : en plus de faire le repas, on y dînait, on y vivait, on s'y lavait, et parfois même, on y dormait. La seconde pièce était quant à elle une « pièce de réception » pour les rares cas où l'on accueillait du monde. Quand Margarete Schütte-Lihotzky intervient sur le projet, elle redéfinit complètement la façon d’aborder ces espaces en dessinant une petite pièce séparée, connectée au séjour par une porte coulissante et ayant pour but de séparer concrètement les fonctions liées au travail (cuisine, repassage..) à celles de la vie et du repos. La cuisine moderne venait de voir le jour et avec elle, le schéma type du foyer contemporain comme nous nous y plaisons aujourd’hui.

L'idée de l’architecte était d’adapter les principes du taylorisme - en vogue à l’époque - au travail domestique. Il s’agissait d’optimiser chacune des actions de la ménagère en étudiant ses gestes et ses déplacements. Elle imagine la cuisine comme une pièce de travail, un laboratoire rationalisé.
Cependant, lorsqu’on entend rationalisation, on est souvent loin des intentions de Schütte-Lihotzky. L’espace était pensé pour minimiser le nombre de pas à faire entre les différentes taches, ainsi, les tiroirs étaient rapprochés, les placards élevés à hauteur de tête, l’architecte a même imaginé une étagère à ingrédients et des tiroirs-verseurs intégrés ; une révolution pour l’époque. La cuisine était donc installée toute équipée, les éléments conventionnels de l’époque n’étant ni fonctionnels ni conçus pour des espaces si réduits. Du positionnement des éclairages et jusqu’à la peinture bleue des tiroirs - parce que les chercheurs de l’époque avaient découvert qu’elle repoussait les mouches - en passant par les matériaux des bocaux qui éloignent les vers de la farine, tout n’était que flexibilité, praticité et gain de temps. C’est ainsi qu’on appellera aussi succinctement cette cuisine moderniste, fonctionnaliste et rationaliste

Une figure du féminisme

Une cuisine imaginée par une femme pour les femmes. Est-ce suffisant pour parler de féminisme tandis que, pour sûr, Margarete Schütte-Lihotzky n’était pas la cible de sa cuisine ? Elle le disait elle-même dans Das neue Frankfurt en mai 1926, « Les femmes de la classe moyenne, travaillant souvent sans aide (sans domestique) chez elles, ainsi que les femmes de la classe ouvrière, ayant souvent un travail en dehors du foyer, sont surchargées au point que leur stress peut entraîner des répercussions sérieuses sur la santé publique au sens large ».

C’est là toute l’ambivalence. Parce qu’il y avait peut-être cet élan à l’existentialisme de Beauvoir ou à la désinvolture de Chanel à la même époque. Peut-être que dans « rationalisation » il y avait « émancipation » de la femme, liberté. Et si beaucoup confondent peut-être la femme et son travail, d'autres critiqueraient plus l'époque que les indéniables révolutions de Schütte-Lihotzky. Ainsi, pour quelques-uns, il y avait aussi l’intention de réduire le temps de travail ménager - qui ne rapporte pas - pour permettre aux ménagères de partir travailler à l’usine. Je crois que Margarete Schütte-Lihotzky était une femme libérée. Féminine au sein d'un mouvement d'avant-garde majoritairement masculin, elle reste une figure importante pour le mouvement féministe sans pour autant vouloir assurément en être. Elle était de conviction, certains diront féministe, d’autres humaniste, libérale ou simplement artiste. 

Quelqu’il soit, sa carrière dessine une vie inspirante, celle d’une femme qui bouscula la société. À travers ses idéaux et ses travaux, elle participa indéniablement aux changements sociaux modernes et notamment à l’évolution du statut des femmes.

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